14 - dom Jean-Baptiste de Gennes
Dom de Gennes,
un mauriste directeur du bureau du Mans
par André Lévy
Dom de Gennes n’a occupé aucune fonction de supériorité dans la congrégation de Saint-Maur et l’essentiel de sa vie monastique a été consacré à la bibliothèque de l’abbaye Saint-Vincent du Mans : c’est sans doute le bibliothécaire qui a été choisi par les membres du Bureau du Mans. Deux mauristes ont occupé les fonctions de directeur du Bureau du Mans, dom de La Bezardais pour l’année 1769 et dom de Gennes en 1774 ; les mérites de ce dernier devaient être particulièrement bien reconnus par ses confrères pour que ceux-ci lui confient l’intérim de Véron du Verger, secrétaire perpétuel, pendant quelques mois, lors d‘une des rares absences de ce dernier. Cette reconnaissance des mérites du simple moine de l’abbaye Saint-Vincent s’est encore manifestée lors de sa démission en 1785 puisqu’ils l’ont nommé membre honoraire, titre réservé aux notables de la province.
Abbaye Saint-Vincent du Mans : la bibliothèque se trouvait alors dans les combles sud et est.
Dom de Gennes, un moine érudit au service du public
--- Un bibliothécaire novateur
Dom Jean-Baptiste Marie de Gennes a été baptisé le 24 juillet 1708 à Vitré. Il était né d’une lignée très ancienne qui remontait aux croisades mais dont les branches bretonnes avaient renoncé à la noblesse en 1688. La famille ne devait cependant pas être pauvre, car le père de notre mauriste, fermier des devoirs de Bretagne, possédait un hôtel particulier à Rennes et une propriété proche de Vitré. Une de ses sœurs a épousé le comte de Niort et un de ses frères a été conseiller au parlement de Bretagne.
Acte de baptême de Jean-Baptiste Marie de Gennes (registre paroissial Vitré)
Jean-Baptiste est le quatrième fils de la famille. Il a embrassé la carrière ecclésiastique comme ses frères aînés et deux d’entre eux ont joué des rôles non négligeables dans les querelles du temps. Le fils aîné Henri-Anne Daniel, né en 1684, a été un des jésuites les plus hostiles au jansénisme alors que son frère Julien-René Benjamin, né en 1687, est entré chez les oratoriens qui lui ont fait faire ses études philosophiques au Mans avec le père Raynaud, qui ne semble pas l’avoir vraiment marqué. Le père Julien-René de Gennes a été avec dom Rivet, moine de Saint-Vincent du Mans, un des défenseurs les plus acharnés du père Quesnel et des convulsionnaires de Saint-Médard à Paris. Cela lui valut d’être embastillé quelques mois et de vivre exilé loin des couvents oratoriens, peut-être même exclu de la congrégation.
Jean-Baptiste de Gennes entre chez les mauristes, congrégation fortement marquée par le jansénisme : il fait profession à 19 ans en 1727 à Saint-Melaine de Rennes et il aurait fait un premier appel contre la bulle Unigenitus qui condamnait certaines propositions du père Quesnel à Léhon, abbaye mauriste proche de Dinan, en 1727. Il fait un deuxième appel à Marmoutier le 3 août 1733 : il se montre ainsi très proche de son second frère, l’oratorien.
Cloître de l'abbaye de Léhon (Côtes d'Armor)
Comme il n’a occupé aucune fonction de supériorité, il est difficile de retracer sa carrière. Il serait peut-être passé par l’abbaye de Saint-Gildas des Bois avant son arrivée au Mans dans les années 1750 et l’hypothèse d’un passage par l’abbaye de La Couture n’est pas à exclure. À Saint-Vincent du Mans, il a commencé par aider le bibliothécaire, dom Colomb, avant de lui succéder puisque c’est sous le titre de bibliothécaire de Saint-Vincent qu’il entre cette année-là au Bureau d’Agriculture. Il y est resté jusqu’à la suppression des abbayes en 1790. Son appartenance au groupe des appelants a pu faciliter son travail à la bibliothèque avec dom Colomb qui partageait les idées de dom Rivet et du père Julien-René de Gennes.
Frontispice du catalogue de la bibliothèque de Saint-Vincent
À partir de 1757 il écrit sa monumentale Concordancia bibliotheca abbatiae regularis Sancti Vincentii apud Cenomanos, gigantesque travail bibliographique, bien plus élaboré qu’un catalogue (la bibliothèque de Saint-Vincent en possédait déjà un) car, outre le classement des ouvrages, la Concordancia donne aussi des notices analytiques de chacun des livres de la bibliothèque, parmi d’autres nouveautés.
Concordancia biblioteca abbatiae regularis Sancti Vincentii apud Cenomanos
Dom de Gennes semble un moine ouvert aux idées du progrès mais pas à la philosophie des Lumières. Ainsi en 1789, dans des propositions d’achat pour la bibliothèque de Saint-Vincent, s’il exclut d’acheter des ouvrages de théologie, il ne fait pas entrer à Saint-Vincent les œuvres philosophiques de Voltaire ou de Rousseau : il préfère mettre l’accent sur les ouvrages consacrés aux sciences et aux arts, en particulier ceux dédiés aux arts mécaniques sans cependant acheter l’Encyclopédie de Diderot, contrairement aux moines de La Couture : s’agit-il d’un choix philosophique ou d’un partage des achats ?
--- Un membre particulièrement assidu
Ce rapide portrait permet de comprendre pourquoi dom de Gennes est élu membre associé du Bureau du Mans en 1764 et devient membre titulaire le 21 janvier 1766. La Société le choisit comme bibliothécaire du Bureau du Mans dès 1770. Pendant ses dix premières années de présence, il participe à plus de la moitié des séances annuelles. En 1774, il assiste à 25 séances sur 34 mais c’est normal car il assume la direction de la Société cette année-là. Ensuite il est moins assidu : il n’assiste qu’à 5 séances en 1780 et à 10 en 1785, un peu plus donc en cette année importante dans la vie du Bureau du Mans et cela malgré les problèmes de santé qui expliquent sa démission au mois d’août 1785. Dom de Gennes s’est donc avéré être un membre particulièrement assidu aux séances du Bureau du Mans de la Société Royale d’Agriculture. Il a participé à au moins 328 séances et, surtout, ses confrères lui ont confié, lors d’une absence de Véron du Verger du 10 janvier 1769 au 14 mars de la même année, la fonction de secrétaire perpétuel, alors qu’il n’était devenu membre titulaire qu’en 1766. Or, dans la vie du Bureau, le secrétaire perpétuel assurait l’essentiel du travail de la Société, le poste de directeur impliquant essentiellement la présidence de chacune des séances du Bureau. La qualité de ses nombreuses interventions peut expliquer aussi la confiance que lui accordaient les membres du Bureau du Mans.
Dom de Gennes, un moine au service des autres
--- L’auteur de nombreuses communications
Si les problèmes purement agricoles ne lui semblent pas étrangers, alors que ses fonctions dans son abbaye ne l’y prédisposaient pas, il est surtout intervenu dans les questions concernant les biens ecclésiastiques et sur les conséquences que pouvaient avoir les défrichements ou les nouvelles cultures sur les usages anciens.
Ainsi il s’intéresse au problème des biens de mainmorte, catégorie à laquelle appartiennent les biens monastiques. Au nom du Bureau, il fait plusieurs rapports en réponse à la demande du prieur claustral de Château-l’Hermitage, qui souhaitait échanger des terres avec le prieur commendataire de ce monastère. Il semble que le but de cette opération soit de lui permettre de bénéficier ainsi de terres à défricher, ce qui n’est pas du goût des fermiers exploitant ces domaines. Dans ces rapports, dom de Gennes intervient toujours pour approuver le prieur de Château-l’Hermitage, lui-même membre associé du Bureau du Mans. Pour dom de Gennes, cette requête ouvrait certainement une possibilité d’augmentation des récoltes. On relève la même attitude dans les rapports qu’il fait sur les conséquences des défrichements pour la perception des dîmes et des champarts. Dès 1766, sur ce sujet, il se prononce toujours contre le fait de faire payer dîmes et champarts sur les terres nouvellement défrichées. Là encore, il s’agit de favoriser le progrès agricole et l’augmentation de la production. Le bon observateur du monde agricole se révèle encore dans un rapport qu’il fait en 1773 contre les semailles tardives du seigle. Pour lui, il faut respecter l’habitude de le semer en hiver et non au printemps, car dans ce cas il y a de grands risques si la saison est mauvaise. En 1780, il intervient pour présenter une nouvelle manière qu’auraient les Anglais pour enlever le poil des veaux.
En mai 1779 il rappelle à ses confrères que les travaux du Bureau supposaient des recherches, que pour cela la bibliothèque de l’abbaye Saint-Vincent pouvait s’avérer précieuse et il en donne une preuve immédiate. Le bureau d’Angers s’interrogeant sur les qualités des eaux d’une fontaine angevine, il fait des recherches dans les Mémoires de l’Académie des Sciences que reçoit l’abbaye et il découvre ainsi que l’Académie avait démontré qu’une fontaine près de Sablé était médiocre. Cela nous incite à penser qu’il souhaitait ouvrir aux membres du Bureau et sans doute à d’autres Manceaux les portes de sa très belle bibliothèque.
--- La démission de dom de Gennes
Le 6 août 1785, dom de Gennes écrit à Monsieur l’Abbé de Moncey secretaire perpetuel de la societé de l’Agriculture une lettre où il présente et explique sa démission :
« Comme je crois que vous ferez Mardy prochain l’élection du Directeur de la societé royale d’Agriculture au Bureau du Mans je vous prie de proposer egalement celle d’un membre à ma place, dont je me demêt avec une vraie peine. mon age ne me permet plus d’assister aux Assemblées en hiver, et il y a longtemps que je n’y presente qu’un membre muet, qui n’entend pas ce qui s’y lit, et qui n’est d’aucune ressource. »
Il se retire donc pour raison de santé d’une société dont, dans la suite de la lettre, il vante le sens patriotique. Il évoque les « vües du plus pur patriotisme qui la dirigent ». Il souligne que pour lui l’agriculture est « le nerf de l’Etat ». Il précise que ces sociétés sont susceptibles de « former des citoiens utiles et de les tirer d’un Egoïsme qui resserre ses talents et ses soins dans les bornes de sa famille ». Mais s’il perçoit tout ce que la publication des expériences, dont les correspondances de l’assemblée rendaient compte, permettrait « dans l’art innocent d’augmenter les richesses du particulier par l’Agriculture », il constate les limites de l’action du Bureau « car ces connaissances ne parviennent pas jusqu’au public ». Dans sa lettre de démission, il souligne aussi la place prise par la Société d’Agriculture pour l’établissement d’un bureau de charité au Mans et il approuve très vivement ce choix.
En 1786, les séances ne reprirent que le 2 mai car « tous les membres se sont occupés du bureau de charité ». Cependant ceci ne concernait plus directement dom de Gennes, car sa démission avait été acceptée, en soulignant qu’il « mérite tous les eloges pour son assiduité et ses vertus sociales ». La Société le remercie en le nommant membre honoraire avec le droit d’assister aux séances comme il lui plaira. Il est nommé membre honoraire et non membre externe, ce qui traduit l’estime de ses confrères, car ce titre de membre honoraire n’était attribué qu’aux grandes personnalités de la province, évêques ou membres de la haute noblesse.
Leur estime pour dom de Gennes ne les pousse pas cependant à choisir un membre du clergé pour lui succéder comme membre titulaire ni à élire son protégé, dom Gallais professeur de théologie à Saint-Vincent, comme membre associé. Ils préfèrent pour le premier poste le docteur Livré et pour le second, dom Laceron, moine de La Couture, mieux introduit sans doute dans l’élite mancelle : il était historiographe du comte de Provence et franc-maçon.
*
À cette date le Bureau du Mans de la Société Royale d’Agriculture n’est plus seulement une société destinée à améliorer les techniques agricoles mais il est devenu un des grands lieux de pouvoir et de réflexion de la ville du Mans. Six de ses membres furent d’ailleurs parmi les élus du Maine aux États généraux.
Quant à dom de Gennes, il a quitté Le Mans et
nous le retrouvons prisonnier à Nantes en 1793.
S’il semble avoir échappé en 1793 aux noyades de Carrier à Nantes, nous ne disposons ensuite d’aucune trace de vie le concernant.
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