09- Pierre-Jacques dom de la Bezardais
Dom Pierre-Jacques de la Bezardais
1769
par André Lévy
Dom Pierre de la Bezardais est né à Châteauneuf dans le diocèse de Saint-Malo, très vraisemblablement en 1724. Il fait profession à 20 ans le 9 février 1744, à Saint-Melaine de Rennes, le noviciat de la province mauriste de Bretagne. Il continue ensuite ses études de philosophie et de théologie dans d’autres abbayes de la province, pourquoi pas au Mans à Saint-Vincent et à La Couture.
Abbaye Saint-Vincent (cliché A. Lévy)
Ces études sont longues – elles durent plusieurs années – et nous n’avons trouvé aucune trace de son parcours avant 1754, année où il est nommé directeur du séminaire de l’abbaye de Cormery, près de Tours, 10 ans après sa profession. Cette première fonction témoigne de qualités intellectuelles et spirituelles distinguées par ses supérieurs. Il est resté à Cormery certainement quelques années, au moins trois, peut-être six et nous le retrouvons au Mans en 1761 à l’abbaye Saint-Vincent, sans connaître la date exacte de son arrivée dans la ville où il allait demeurer jusqu’à sa mort, à la fin de l’année 1782.
--- Une carrière monastique pour l’essentiel mancelle
Le 14 juin 1761, il participe comme senieur à l’assemblée capitulaire de l’abbaye Saint-Vincent qui prend les mesures nécessaires pour mettre fin au conflit qui opposait le propriétaire du domaine de Sainte-Barbe, M. de Nouans à dom Dhoriotz, procureur de l’abbaye. Celui-ci a remis en cause en 1759 le droit de passage dans la ruelle des Trois-Maries, utilisée jusque-là traditionnellement par les Manceaux car le propriétaire du domaine de Sainte-Barbe avait ouvert une porte dans son jardin qui lui permettait d’accéder plus facilement aux rives de la Sarthe.
la ruelle des Trois-Maries (cliché A. Lévy)
Le 20 décembre 1764, dom de la Bezardais est choisi par le bureau du Mans de la Société Royale d’agriculture pour remplacer dom Guillon, moine de Saint-Vincent qui quitte la province : il y est présenté comme prieur de l’abbaye royale de Saint-Vincent du Mans. Pourtant le chapitre général de la congrégation de Saint-Maur a nommé en 1763 dom Rouaud prieur de l’abbaye Saint-Vincent, en remplacement de dom Even dernier abbé régulier de Saint-Vincent et dom Rouaud a exercé cette fonction jusqu’en 1766.
nomination de dom Bezardais au Bureau du Mans en remplacement de dom Guillon
En 1765 dom de la Bezardais signe un mémoire de protestation en tant que prieur de Saint-Vincent contre les mitigations demandées par les savants de Saint-Germain-des-Prés en particulier. Ils souhaitaient des adoucissements dans l’observance de la Règle mauriste. Dom Rouaud ne figure pas parmi les signataires : absence ou refus de signer ? Cela nous montre que dom de la Bezardais a bien occupé la fonction de prieur de Saint-Vincent mais nous ne pouvons pas hélas définir exactement le rôle qu’il a tenu par rapport à dom Rouaud, à Saint-Vincent, jusqu’à son départ en 1766 pour Saint-Pierre de-la-Couture.
En 1766, en effet, dom de la Bezardais est nommé par le chapitre général de la congrégation de Saint-Maur prieur de l’abbaye royale de La Couture, alors que celle-ci est en pleine reconstruction et c’est sous son priorat en 1772 que les travaux s’arrêtèrent. Il exerce trois triennats successifs, maximum possible pour cette charge dans une abbaye et de 1775 à 1781 il est donc remplacé par dom Philippe Lebel.
Abbaye de La Couture : façade construite pendant les trois triennats de dom Bezardais
Il redevient prieur de La Couture en 1781 mais il meurt en fonction à l’abbaye fin décembre 1782.
annonce du décès de dom de la Bezardais dans les procès-verbaux de la Société
Les qualités d’administrateur de dom de la Bezardais peuvent expliquer qu’il ait été également choisi par l’évêque du Mans pour siéger dans la chambre ecclésiastique qui se réunissait tous les samedis sous la présidence de l’évêque, pour gérer toutes les impositions du clergé du Maine. L’Almanach du Maine pour l’An de Grace 1782 nous le montre siégeant toujours dans cette chambre ecclésiastique mais il est également un des administrateurs des hôpitaux du Mans. Dom de la Bezardais a bien occupé une place éminente dans le clergé manceau : rien d’étonnant donc à ce que le bureau du Mans de la Société Royale d’agriculture l’ait élu en 1764 pour participer à ses travaux, ce qu’il fit jusqu’à sa mort.
--- Un moine très actif dans la Société royale d’agriculture
Dom de la Bezardais aurait pu participer depuis son élection le 20 décembre 1764 à 522 séances ; en fait il n’a participé qu’à 139 réunions, ce qui donne un pourcentage honorable de plus de 27% de présence mais avec une assiduité très variable selon les années. Il fut particulièrement présent en 1769, il assiste à 19 séances, mais cette année-là, il exerçait la charge de directeur du bureau du Mans et celle de directeur général des bureaux des trois provinces de la généralité de Tours (Maine, Anjou, Touraine).
élection de dom de la Bezardais comme membre du Bureau en 1764
et sa nomination comme directeur pour1769
Pendant les dernières années de sa vie sa présence se fait plus rare : on peut penser que, dans ce cas, la vieillesse et peut-être la maladie peuvent expliquer cette faible assiduité. En 1780, il assiste à 7 séances, en 1781 il ne participe qu’à 3 séances mais qu’il préside en l’absence du directeur et en 1782 il ne vient qu’à deux réunions qu’il préside encore. Le choix du président de séance, pour remplacer le directeur absent, était déterminé par la position dans l’ordre du tableau des membres voté lors de la dernière séance de l’année précédente (sauf pour 1781) : en 1781 il y occupait la première position et la seconde en 1782.
Les registres des délibérations du bureau ne donnent pas le nom des intervenants lors des discussions qui s’y déroulaient mais dom de la Bezardais a rédigé aussi quelques rapports très appréciés par ses confrères, ce qui peut nous permettre d’appréhender ses thèmes de prédilection.
Ce qui semble caractériser dom de la Bezardais, c’est sa grande curiosité et ses qualités d’observateur du monde rural. Ainsi en 1766, il présente des épis de bleds malades et en 1776 il écrit un rapport sur une expérience qu’il a faite : il a voulu voir si la présence de soucis pouvait empêcher la prolifération des fourmis. En avril 1776, après l’intervention du docteur Livré indiquant qu’une jeune femme était morte après avoir bu une tisane d’ifs, il décrit ce qu’il a observé à Marmoutier, la mort quasiment instantanée de trois chevaux qui avaient mangé des feuilles d’if. Cette observation ne fut pas oubliée car, en 1779, elle est rappelée par un intervenant traitant du même sujet.
le danger des ifs
C’est encore l’observateur qui se manifeste lorsqu’il fait part aux membres du bureau de l’utilisation possible des pipes des mariniers pour essayer de sauver les noyés, car la Société s’est penchée à plusieurs reprises sur les moyens propres à secourir les victimes des noyades.
En 1774, lors de la séance du 10 avril, dom de la Bezardais signale que dans certains cantons de Bretagne les laboureurs peuvent prendre à la grange du décimateur, lorsqu’il y a pénurie de paille, la récolte, la battre très précautionneusement, en garder la paille et ramener ensuite la récolte à la grange. Le bureau du Mans semble avoir jugé la coutume pertinente et il suggère qu’elle pourrait être appliquée dans le Maine, à condition qu’il n’y ait pas d’abus. La discussion ne s’arrêta pas là car cette communication fut suivie, lors de la séance du 4 juillet 1775, de deux interventions de Véron de Forbonnais, membre associé du bureau du Mans et de dom de Gennes qui indiqua qu’il s’agissait d’un usage constant, mais très limité : à la suite de ces précisions, cette coutume ne fut pas introduite dans la province du Maine.
Dom de la Bezardais ne se contentait pas d’observer. Il connaissait aussi très bien les lois et les usages, en particulier en ce qui concerne les « privilèges » des abbayes, champarts ou dîmes dont les monastères bénédictins tiraient une partie importante de leurs revenus. Ainsi en 1774, les bénédictins de Saint-Julien de Tours qui souhaitaient toucher des droits de terrage sur des terres désormais complantées de mûriers, culture qui se répandait alors dans la généralité de Tours, interrogèrent les bureaux d’agriculture sur leurs droits. Dom de la Bezardais fit un rapport où il affirmait, qu’après un entretien avec le prieur de Saint-Julien, celui-ci ne réclamait de toucher ce droit que sur des terres uniquement plantées de mûriers et non sur des champs complantés. La Société approuva ce texte et elle proposa de l’adresser au bureau d’Angers qui s’interrogeait à ce sujet. En dehors du rôle tenu par le moine de La Couture pour tenter de résoudre le problème posé par une autre abbaye mauriste, cela montre les relations étroites existant entre les 3 bureaux de la généralité de Tours.
Dom de la Bezardais a donc été un membre actif au bureau du Mans et il y était tenu en particulière estime, son assiduité et sa fonction de prieur d’une grande abbaye mancelle peuvent l’expliquer. Fin 1782, il figure dans le tableau des membres pour l’année 1783, adopté le 7 décembre, mais lors de la séance du 7 janvier 1783 l’abbé de Moncé, secrétaire perpétuel, fait part du décès du prieur de La Couture aux membres présents et il fait procéder à l’élection de son successeur : ceux-ci choisirent l’abbé Savare, chanoine du chapitre de l’église Saint-Pierre-la-Cour. Si ses confrères ne firent aucun commentaire, à sa mémoire le chevalier de Monhoudou écrivit un petit poème dont nous retenons pour conclure ces deux vers :
D’un mérite achevé a fait l’heureux modèle
il emporte au tombeau l’estime universelle
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